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Les batteries du Mont Canisy
5 mars 2013

Saint Quentin - 1944

Le souvenir du bombardement du 2 mars 1944 reste toujours vivace
 
La place de l'Hôtel-de-Ville, noire de monde, le matin du 6 mars 1944, pour rendre un dernier hommage aux victimes. (Photos d'archives : Société académique)

La place de l'Hôtel-de-Ville, noire de monde, le matin du 6 mars 1944, pour rendre un dernier hommage aux victimes.        (Photos d'archives : Société académique)

SAINT-QUENTIN - Quatre-vingt-onze Saint-Quentinois ont péri sous les bombes larguées par les avions alliés ce jour-là. Soixante-neuf ans plus tard, la plaie n’est pas encore cicatrisée.

Maurice Trannoy parle toujours de l'après-midi du jeudi 2 mars 1944 avec émotion. Du haut de ses six ans, il a vécu l'horreur ce jour-là. Vers 15 h 30 - 16 heures, le jeune garçon qu'il était jouait devant sa maison avec sa sœur Alice, l'aînée de la famille de quatre enfants, âgée de 8 ans. La famille demeurait au 30 rue Dornenberger. Une demi-heure plus tard, celle-ci allait être touchée de plein fouet par une frappe aérienne menée par une dizaine de bombardiers américains qui ont complètement dévié du plan de vol prévu. « On voyait très bien les avions ce jour-là car le ciel était clair, il y avait du soleil, raconte Maurice Trannoy. On voyait passer tellement d'avions qu'on ne soupçonnait pas le danger. J'en comptais dix, ma sœur, huit. Nous n'étions pas d'accord, et comme je voulais avoir raison, on s'est chamaillé. Elle est allée se plaindre à ma mère à la maison. C'est alors qu'une bombe est tombée sur une maison située rue du Docteur-Cailleret… »

« Quelqu'un a crié qu'ils lançaient des tracts »

Maurice Trannoy se retourne et découvre une vision apocalyptique. Sa maison est en grande partie détruite par le souffle de l'explosion. Par bonheur, le premier étage où dormaient ses deux sœurs âgées respectivement de 2 et 3 ans a été épargné, et elles sont saines et sauves. Sa mère, enceinte, est ensevelie sous les décombres, mais s'en sortira. Son autre sœur n'a pas eu cette chance, comme 90 autres Saint-Quentinois qui ont péri durant ce bombardement. Jacques Rohat était aussi présent ce jour-là. Agé de 18 ans à l'époque, le Saint-Quentinois travaillait aux établissements Gibert, rue Voltaire, où il réparait les moteurs électriques et les transformateurs. Lui aussi a vu les avions survoler le ciel après avoir entendu les sirènes hurler. « Avec mes collègues, nous sommes sortis dans la cour de l'établissement. Quelqu'un a crié qu'ils lançaient des tracts, nous sommes alors rentrés pour reprendre le travail. Puis quelques minutes plus tard, le contremaître est venu pour nous dire qu'un bombardement avait eu lieu et que des maisons étaient en ruine au faubourg d'Isle. » Le directeur de l'établissement va autoriser ses salariés à aider les secours. Jacques Rohat se rend rue de Guise où il mesure l'ampleur de la catastrophe qui vient de se produire. Mais après plusieurs heures passées à déblayer, et alors que le soir commence à tomber, le Saint-Quentinois apprend que le quartier de Remicourt a également été touché par les bombes. Le tourment apparaît alors puisque son frère Michel travaillait au patronage de Remicourt, et qu'il n'était pas rentré à la maison. « Je me suis rendu sur les lieux du sinistre, rue de Bellevue. C'était le même spectacle qu'au faubourg d'Isle : des maisons en ruine. Avec deux autres personnes, nous avons sorti des gravats une femme sans vie, et son enfant qui était encore dans sa poussette, et qui semblait dormir, raconte Jacques Rohat. Une scène qui restera à jamais gravée dans ma mémoire. » Mais toujours pas de trace de son frère. L'angoisse grandit lorsque quelqu'un apportera une chaussure trouvée dans les décombres, et appartenant à son frère. Le lendemain, l'inquiétude laissera place à la douleur quand Jacques Rohat, accompagné de son père, se rend à l'hôpital rue Emile-Zola, où les corps des victimes avaient été transportés. Parmi eux, celui de Michel. « Mon frère, âgé de 12 ans et demi, et cinq de ses camarades ayant le même âge ont été tués en revenant du patronage. En entendant les sirènes d'alerte, le directeur du patronage avait demandé aux enfants de rentrer chez eux rapidement. Ils n'ont pas pu le faire… ».

Le fleurissement des funérailles offert par les Allemands

Quatre jours plus tard, la place de l'Hôtel-de-Ville est noire de monde afin de rendre un dernier hommage devant les 85 cercueils alignés. L'occupant allemand avait autorisé ces obsèques, et avait même « offert » le fleurissement. Un geste qui n'était bien évidemment pas désintéressé. Si Jacques Rohart se souvient d'une cérémonie chargée d'émotion, Maurice Trannoy n'a, quant à lui, pas pu y assister. « Juste après le bombardement, j'étais complètement affolé, je ne comprenais rien. Je me suis sauvé en allant me cacher dans la cave de l'épicerie Goulet-Turpin. On m'a retrouvé deux jours plus tard. Ensuite, les enfants ont été envoyés dans une grande propriété à Hermonville près de Reims afin d'assurer leur protection ». Il ne rentrera sur Saint-Quentin que trois ans plus tard.

CE BOMBARDEMENT, UNE ERREUR DES ALLIES ? L'événement tragique, survenu jeudi 2 mars 1944, vient-il rallonger la liste des funèbres erreurs de cible des Alliés durant leurs campagnes de bombardement ? Sans aucun doute pour Maurice Trannoy qui avance que « les bombardiers ont dévié de leur plan de vol de quasiment 90°. Ils se sont complètement trompés d'axe. Il y a eu 91 morts dans un périmètre allant de la rue Jules-Guesde à la rue Sainte-Cécile. Dans les environs, il n'y avait aucune cible militaire proprement dite, rien qui méritait d'être bombardé, sauf peut-être la gare « boche » où semblaient être stockés le ravitaillement et le matériel de l'armée allemande. Pourtant, beaucoup de bombes sont tombées dans l'étang d'Isle. Imaginez le carnage que ça aurait été si le marais d'Isle avait été une zone habitée. Je pense que l'ordre de mission était de passer le rouleau compresseur : on bombarde pour mettre l'ennemi sur les dents. Mais ce sont les civils qui subissent. » Jacques Rohat non plus, ne sait pas trop l'objectif qui était visé. « A l'époque, on a dit qu'ils visaient les voies ferrées. Il y avait aussi la Gestapo qui était rue Charles-Picard. Sinon, on ne voit pas trop ce qu'ils visaient. »

Grégory BEUSCART

Source : http://www.aisnenouvelle.fr/article/autre-actu/le-souvenir-du-bombardement-du-2-mars-1944-reste-toujours-vivace

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